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Lettre de Yolande Mukagasana à B. Kouchner

15.1.2010

Monsieur le Ministre, Laissez-moi vous souhaiter d’abord une bonne et heureuse année 2010, basée surtout sur la réconciliation entre nos deux pays, la France et le Rwanda.  

Monsieur le Ministre, je n’ai jamais douté de votre humanité. C’est la raison pour laquelle je ne cesserais pas de vous écrire, lorsque je sentirai le besoin de vous parler. Pour mémoire, je suis rescapée du génocide des Tutsi du Rwanda, qui a emporté la totalité de ma famille, mais en particulier mon mari et tous mes enfants. Le gouvernement français de l’époque porte une lourde responsabilité dans mon histoire dramatique comme celle de multiples rescapés. Et je sais que vous le savez comme vous savez que nous le savons.

Monsieur le Ministre, laissez-moi vous féliciter d’avoir pu débloquer la situation diplomatique tendue entre la France et le Rwanda, peu importe la façon, car l’essentiel est que la France et le Rwanda puissent se parler. Mais je suis heureuse de tout ce que vous avez réalisé et que votre effort aboutisse. J’espère que la France vient dans la sincérité et non avec cette espèce de mépris qui a caractérisé la France politique de penser qu’elle est capable de manipuler les Africains pour arriver à ses fins.

Monsieur le Ministre, la raison principale de mon courrier n’est pas du tout politique, car je ne suis pas politique. Je ne fais que partie de cette société civile qui a souffert et qui souffre encore du génocide. Ce génocide dont la France a toujours soutenu les coupables aussi bien Rwandais que Français. Si je vous écris ce courrier, il s’agit de vous mettre en garde pour ce qui concerne le génocide des Tutsi. Ce n’est pas parce que mon pays, le Rwanda s’ouvre au dialogue avec la France qu’on a effacé le génocide et surtout les responsabilités françaises dans ce génocide. Pas du tout. Je vous rappelle Monsieur le Ministre qu’un génocide est un crime imprescriptible.

Comme dans mon courrier précédent, je vous répète que vous êtes médecin, Monsieur le Ministre. Vous savez que la reconstruction psychologique des victimes passe d'abord par la reconnaissance de ce qu'elles ont subi. Cette reconnaissance, la France nous l'a refusée. Aucune fois, la France ne nous a reconnus comme souffrants. Aujourd’hui si la France revient au Rwanda, nous attendons de la part de la France, la reconnaissance de notre génocide d’abord.  

Laissez-moi vous féliciter encore,  Monsieur le Ministre de ce que vous proposez, vous et le Ministre de la Justice, Madame Michèle Alliot-Marie, la création d'un pôle "génocides et crimes contre l'humanité" au TGI de Paris. Mais, Monsieur le Ministre, vous savez plus que quiconque que cela n’est pas possible, à moins que la France change ses lois! Vous savez que la France ne s’est jamais dotée de la loi de la compétence universelle pour juger les génocides. Vous savez qu’en France des lois spécifiques ont été votées pour les crimes de guerre qui concernent le Rwanda et le Kosovo. Cela veut dire que la compétence universelle n’est applicable en France que pour les crimes de guerre concernant ces deux pays. La France l’a peut-être fait dans l’espoir d’arrêter ceux qui ont été inculpés par votre juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière pour avoir soit disant commis l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana. Aussi longtemps que les choses sont comme elle sont en France, et c’est inacceptable et vous torturerez encore une fois les rescapés du génocide des Tutsi.

Wenceslas Munyeshyaka et beaucoup d’autres contre lesquels nous avons porté plainte vivent une impunité sans égal en France. Le docteur Rwamucyo qui vit maintenant en Belgique, ne travaillait-il pas en France, alors qu’il figure sur la liste d’Interpol? Et beaucoup, beaucoup d’autres, Monsieur le Ministre. Comment allez-vous faire? Donnez-nous des explications. C’est toujours bien d’avoir des intentions, mais des intentions et de bonnes paroles ne suffisent plus. Nous attendons des actes concrets, Monsieur le Ministre.

Nous, les rescapés du génocide, nous souhaitons que vos intentions se transforment en actions. Nous attendons réparation, Monsieur le Ministre. Quant à l’aide de la France, si l’intention y était, elle se serait manifestée depuis quinze ans déjà. Nous avons besoin de voir nos droits respectés et entre autres, le droit à la justice et la réparation qui s’en suivrait. Le peuple français a besoin de la vérité sur les responsabilités de leurs politiques et militaires pendant la période de 1990 à 1994.

Pour terminer, Monsieur le Ministre, je vous félicite encore une fois d’avoir débloqué la situation diplomatique entre la France et le Rwanda.  Il vous reste de débloquer la situation politico juridique entre le Rwanda et la France. Mais encore une fois je vous fais confiance car tout ne peut pas se faire en même temps. Vos enfants et les générations humaines vous remercieront.

Dans l'espoir que jamais vous ne trahirez pas notre confiance, je vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de mes remerciements anticipés.   

Signé Yolande Mukagasana

rescapée du génocide des Tutsi - écrivain - Présidente de Nyamirambo Point d’Appui asbl  

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