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La Toussaint rwandaise cinquante ans après !

13.11.2009
Oui, Papa, cinquante ans après. Te souviens-tu? Aujourd’hui cela fait juste un demi-siècle. Je vois tout comme si c’était hier, pourtant j’avais cinq ans. Seulement cinq ans.Je te vois encore désemparé, car nous devons tous fuir. Pourquoi fuir? On massacre les Tutsi.Non, on massacre les hommes et les garçons Tutsi, car ce sont eux qui font les Tutsi. Les filles et les femmes, il suffirait d’en faire leurs lapins pour produire la race Hutu. Les enfants ne sont que hutu ou tutsi par leur géniteur. Il n’est pas nécessaire de tuer les filles et les femmes. Mais nous devons tous fuir. Pourquoi? Il y a cinquante ans, les Tutsi se sont fait massacrer pour la première fois. Papa, je m ‘en souviens comme si c’était hier. La peur que tu m’as transmise sans doute sans nous en rendre compte. Je me souviens de toute l’histoire. Maman nous réveille et dit que tu dois partir et que nous devons te dire adieu. Pourquoi? Papa ne reviendra peut-être plus. Il fallait que vous partiez avec Musoni, mon grand frère. On tuait les garçons et les hommes Tutsi. Nous vous avons dit adieu. Pourquoi adieu? Pourquoi devons nous nous séparer? Je ne comprends pas du tout. En plus, maman dit que tu ne dois pas oublier d’avertir ton petit frère et de partir avec lui. Pauvre de toi, grand-mère. Les seuls enfants que tu avais, les voilà tous exposés à la mort. Pourquoi? Tu ne peux pas comprendre, tu n’es qu’une enfant. Me disait maman quand je posais des questions. Ma grande sœur Thérèse devait prendre Népo sur le dos qui était un bébé et partir. Ils sont partis avec Consolata et Hilde, Mes autres grandes sœurs. Elles devaient aller chez notre grand-père. Nous habitions près d’une route, c’était plus dangereux. Pourquoi dangereux? C’était si beau de voir passer les voitures puisque nous n’en avions pas. Je ne comprenais toujours pas. Mes questions n’avaient qu’une réponse. Toujours la même, tu es trop jeune pour comprendre ce qui nous arrive.  Adieu Papa, adieu Musoni ! On ne les verra plus jamais maman? Je ne sais pas, mais c’est mieux comme ça. Ce brouhaha, cette vitesse. Un vrai tourbillon. J’avais encore sommeil,Je ne peux pas savoir à quelle heure on était. Je ne comprenais même rien aux heures.J’avais sommeil, j’étais à moitié réveillée ou à moitié endormie. Je ne sais toujours pas. Thérèse mets le bébé sur ton dos. Partez. Ngarukiye vous accompagne.. Ngarukiye, celui qui  gardait nos vaches, Papa. Te souviens-tu de lui ? Il est parti avec mes sœurs et mon petit frère. Mais il n’est pas revenu non plus. Il n’avait plus de vaches à garder. Kamandwa, notre voisin qui nous informait sur le déroulement des massacres est passé prendre quelques unes de nos vaches,  il a promis de nous les rendre après le tourbillon. Ce n’est pas moi qui invente ce mot Papa, souviens-toi qu’après on disait que quand le tourbillon va passer on allait nous rendre nos vaches. Même après, on n’a jamais prononcé le mot massacres. Chaque fois qu’on en a parlé, les grands ont toujours dit : «pendant le tourbillon» Kamandwa aurait dû prendre toutes nos vaches. Je me souviens d’Ingorabahizi, la vache que tu aimais beaucoup, Papa. Cette vache que nos voisins avaient surnommé Rwamuzungu, « la vache du blanc», car ils nous croyaient riches. Mais j’ai aussi l’impression qu’il ne me manquait de rien. Ils avaient peut-être raison. Souviens-toi qu’elle allaitait. Lorsqu’on lui a donné un coup de machette, le lait a jailli et s’est mélangé au sang. Je n’ai plus bu du lait. Pourtant je l’adorais.Ils ont mangé nos vaches, ces assassins. Je me souviens de la cruauté avec laquelle ils tuaient nos vaches aussi. Pourtant ils étaient nos voisins. Je passais ma journée à jouer avec leurs enfants. Comment est-ce possible? Ma sœur n’avait qu’un petit pot de lait pour Népo, mon petit frère. Rien d’autre comme bagage. Pour combien de temps? Personne ne savait. A peine partis, des hommes qui portent des feuilles de bananier sur le tête et autour des hanches font irruption dans notre parcelle. Un interrogatoire musclée à ma mère pour lui faire dire où tu étais. Maman n’a rien dit. Je les connaissais tous. Ils disaient que même s'ils ne nous faisaient rien, il y avait un groupe de pygmées qui devaient passer nous rendre une petite visite. Ils me faisaient peur, car je ne les connaissais pas et je ne les avais jamais vus.  Te souviens-tu en 63 quand Maman nous empêchait de regarder le ciel qui était rouge? Elle nous disait que c’était le sang des Tutsi du Bufundu. Mais nous, rien ne nous est arrivé.C’est drôle. Mais souviens toi dix ans après, en 1973 quand Musoni est rentré de Gatumba en haillons, tabassé par les gens de Gatumba. On avait failli le tuer et le noyer dans la Nyabarongo comme on en a fait pour les autres Tutsi qui habitaient là. Lui qui avait des armes dans la maison, puisqu’il surveillait des mines avec une équipe armée. Qui aurait pensé qu’il serait désarmé pour mieux le traquer? Il n’a même pas pu protéger Népo qui vivait avec lui et qui était encore mineure. Il est revenu très tard quand nous l’attendions plus et que nous avions fait le deuil. Il avait marché des jours et des nuits pour arriver à la maison et n’arrivait pas à raconter. Il avait assisté aux assassinats à partir de sa cachette dans la brousse. Il avait demandé refuge à un prêtre Tutsi qui lui a plutôt dit de partir de là, car lui-même n’était pas sûr de sa survie. Il nous a dit qu’il ne priait plus Dieu, un ancêtre. Notre grand-mère Nyiragaju que nous ne connaissions que de la bouche de nos parents. Vingt et un ans après, en avril 1994, maintenant ça fait quinze ans, on a fini par massacrer tous les Tutsi, Papa. Un génocide. Cette fois-ci, on ne tuait pas seulement des hommes et des garçons. On tuait tout ce qui pouvait ressembler aux Tutsi, jusqu’à ce qui pouvait faire penser à eux. On tuait tous les hommes, toutes les femmes et tous les enfants. Quels cauchemars! Papa, si tu savais comme cela me fait très mal de le répéter. Il n’y a même pas de raison. Je veux seulement te raconter la suite que tu n’as pas vu, et heureusement...Tu as bien fait de partir, même si cela nous a fait croire que tu es parti trop tôt. J’en suis contente maintenant, car si tu savais, un an après: un génocide. J’ai vu tout ce qu’il ne fallait pas voir. Peux-tu imaginer Papa, que l’on a même tué les malades Tutsi sur les lits dans les hôpitaux! Par qui tu crois, Papa ? Par leurs médecins. Aujourd’hui ils se promènent comme s'ils n’avaient rien fait. Beaucoup les croient, tu sais, beaucoup à l’extérieur du Rwanda, mais pas au Rwanda. Ils ne peuvent pas y aller et tous les prétextes sont bons pour clamer leur innocence. Ils n’osent pas croiser nos regards sans nous agresser. Nous sommes l’image de leur crime, nous sommes l’image de la haine envers eux-mêmes.Toi qui aimais les vaches, Papa, si tu savais comme les vaches des Tutsi ont souffert pendant le génocide! Elles ont subi le même sort que nous. Je croyais qu’il y n’en aurait plus au Rwanda.Qui ne tuait pas Papa? C'est difficile à dire. Seulement après, je me suis rendue compte que quelques-uns, un chiffre minime avait protégé des Tutsi. J’ai dû aller à leur recherche pour comprendre l’incompréhensible. Certains hommes gardaient des femmes Tutsi sous prétexte de les protéger. Mais tu sais, c’était pour pouvoir les garder en otage sexuel sous prétexte de les cacher aux autres assassins. Car pour eux, il y avait pire. Mais pour moi, ils se ressemblaient tous et sentaient tous de la même façon. Le sang et la saleté.Peux-tu imaginer Papa que les mamans aussi ont violé des garçons! Si tu revenais tu préférerais mourir encore et pour de bon, Papa. Ce que nous avons vécu est inexprimable. Nos yeux ont vu des choses de trop. Les mamans qui violent un enfant! Papa, je suis désespérée, car justice ne nous sera jamais rendue. Je n’en connais pas un seul de tous les tribunaux créés qui répare. Je n’en connais pas qui ne blesse pas les rescapés.Les pays des droits de l’homme, les mêmes qui portent des responsabilités dans le génocide, protègent les assassins. Ces mêmes pays qui se targuent d’avoir écrit la déclaration des droits de l’homme et qui est universelle pour eux. Mais nous, nous ne sommes pas des hommes à leurs yeux sans doute! Les assassins peut-être, mais pas les rescapés. C’est l’hypocrisie qui domine plus que tout. Tu es fatigué Papa? Je vais te laisser reposer. Mais laisse-moi te raconter un peu de cette hypocrisie. Tu vas rigoler comme d’habitude. Te souviens-tu de Madame? Celle dont on ne prononçait pas le nom, car son mari était général et chef d’état. Oui, tu as tout compris. Elle est en France depuis le 8 avril 1994. Que fait-elle? Elle vit et elle vit bien. Le président ami qui dit qu’un génocide dans nos pays, ce n’est pas important, l’a accueillie à bras ouverts. De l’argent, une maison, tout. Le Président suivant a suivi les consignes, l’actuel a eu honte peut-être et ne lui a pas encore accordé l’asile politique. Mais je crois qu’elle n’en a pas besoin, puisqu’on lui donne tout, Papa. De quoi elle vit? De qui? Tu crois qu’un autre réfugié peut rester dans ces pays pendant 15 ans sans papiers et se promener partout où elle veut en Europe? Je viens d’appendre une autre blague Papa. Accusé par le Rwanda d'implication dans le génocide de 1994, un général français veut se défendre devant les tribunaux. Il déplore le manque de soutien de l'Elysée! Pour qui on nous prend? C’est normal que l’on nous croit bête, après avoir survécu à plus d’un million des nôtres et accepté la survie. Mon Papa chéri, tu me manques, tu me manqueras toujours, comme Maman, Joseph, Christian, Nadine, Sandrine, Népo, Thérèse et tous les autres. Mais pour ce qui concerne Consolata, pardonne-moi de ne pas savoir comment elle a été tuée et où je peux trouver ses os. On m’a dit que c’est le véhicule communal qui est venu la chercher, avec d’autres femmes Tutsi de notre colline et c’est tout. Pourtant, tous nos voisins sont encore là et ne veulent rien me dire. Je suis fatiguée Papa, mais je suis encore debout, je le resterai jusqu’à la fin de mes jours.Je continue de reconstruire la vie sur la mort, je reconstruis l’amour sur la haine et je suis sûre de la victoire. Repose en paix avec tout un million de frères, n’oublie pas de t’occuper de mon mari, de mes enfants et des tiens. Je sais que maman est toujours à tes côtés pour t’épauler.Mais sachez aussi qu’ «il y a des choses qui ne sont vues que par des yeux qui ont pleuré».                                               Yolande Mukagasana

                                                 Ta fille qui t’adore

 
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